Mon médecin était triste. Je ne l’en croyais pas capable. Agrippé à sa chaise les yeux scotchés sur l’échographe, Dr Konaté, 70 piges dont plus de la moitié mise aux services des cas les plus désespérés de la gynécologie obstétrique insistait à toucher et retoucher l’embryon avec sa sonde.
Ses lunettes sans cesse ajustées laissaient voir ses traits devenus soudainement graves et la petite voix pas rassurante pour annoncer les mauvaises nouvelles communes aux toubibs disait : « Ce n’est pas de chance, l’enfant n’a pas de rythme cardiaque. Je suis désolé. » Ses mots tels des flèches empoisonnées ne m’atteignaient pas. Le mélange de crainte additionné à certain pic de colère qui m’habitait le mois précédant la fatidique consultation m’avait rendue insensible. Déconnectée. Lasse. Aphone. Impuissante… Allongée à la lisière de la douleur plongée dans le déni total je n’attendais plus que le coup de grâce : « la grossesse s’est arrêtée naturellement… ça arrive. La médecine n’a malheureusement pas d’explication rationnelle. »
Si les traits de doc ne desserraient pas, c’était qu’il se sentait en quelque sorte responsable de nous, un peu comme un parrain l’est pour sa filleule. Cette grossesse n’était ni désirée ni planifiée ni encore un piège et il le savait. L’avortement n’était plus une option pour moi et il me soutenait dans mon choix de jeune fille mère et surtout seule. Contre la tempête qui avait fini par éteindre le feu de la passion naissante entre ces 2 inconnus que nous étions, je m’étais finalement résignée à accepter cet enfant et lui le doyen connaissait mieux que personne les dégâts que causent ce genre d’ouragan de cœur. « Il /elle se prénommerait Paul(e)… comme vous » lui avais-je révélé avant l’échographie. La nouvelle l’avait ému aux larmes. L’envie d’être un papi gaga de son petit homonyme ou d’être le témoin d’une décision féministe voire même égoïste sûrement ?…
Je ne me souviens pas avoir placé un mot au taximan dans le véhicule qui me ramenait à Yopougon. Le temps semblait s’être arrêté. Le boulevard lagunaire n’avait jamais été aussi silencieux que ce lundi matin. Le plateau aussi dépeuplé et sans intérêt. Les gratte-ciels aussi éteints et fades. Pour la première fois, j’appréciais les embouteillages. Le traditionnel ralentissement à ces heures de bureaux me plongeait dans ma joyeuse enfance de Samatiguila, l’adolescence difficile de Soubré, la première jeune grossesse suivie des différentes guerres et luttes remportées toutes haut les mains sur cette vie jusque-là. Et enfin ce énième coup dont la médecine me demandait l’acceptation sans compromis aucun. Il fallait tout assumer de toute façon. Et puis il y a la confession, parler, se vider, cette thérapie salvatrice, signe du deuil affranchi qui vous installe dans une meilleure posture autre que celle du coupable.
Voici l’histoire de la maman de Paul(e), une histoire : Pour toutes ces femmes qui ont donné la vie en dépit du refus du géniteur.
Aux mères seules
À celles qui ont connu le rejet
À celles qui ont fait la douloureuse expérience d’une fausse couche. Contrairement à l’opinion commune perdre un enfant aussi petit soit-il peut constituer un traumatisme chez des femmes même fortes.
Un texte, c’est comme de la photographie. Il y a de belles photos d’une part, et de bonnes photos d’autre part. La différence des deux, est que la seconde possède une âme. Une sincérité qui transcende la fiction des esprits fertiles. Et ça, ton texte l’a!
Just tell you, GOES ON siter!!!!
Wow c’est beau! Merci Inoussa!!
L’article n’en est pas un. Ou plutôt n’en n’est pas qu’un. Il est multiple. Entre le besoin d’en parler et le désir de le taire. Déchirement, flux saccadé, apaisement, comme un abcès qu’on crève.
Pour avoir eu la chance de me l’entendre conter avant qu’il ne soit écrit par toi, je te félicite de rendre si bien ce témoignage, même avec les émotions qui va avec.
Comme toujours, Bravo Rita
Huuuum!! Eh bah!!