« Le paradis de la terre», c’est ainsi que baptisaient à la fin du 18e siècle, les Sénoufo, première communauté ivoirienne à avoir occupé les terres rouges de l’actuel Odienné. En trois siècles ce « jardin d’éden » est passé terre d’accueil ensuite de bataille puis en capitale d’un royaume, celui du Kabadougou. Aujourd’hui qu’est ce que l’ère de la modernité apporte à cette région nordiste ?
L’accès
Rallier Abidjan à cette grande ville malinké du nord-ouest de la Côte d’Ivoire en véhicule est comme entamer un voyage vers l’infini. Située aux confins du Mali et la Guinée, il vous faut 10 longues et interminables heures de voyage. Un calvaire pour les fessiers. Parti aux aurores, le voyageur arrive au crépuscule. En traversant autant de villes impressionnantes (Yamoussoukro, Lakota, Daloa, Gagnoa, Man), après avoir admiré à tour de rôle autant de diverses végétations, autant de beaux paysages (montagnes, forêts), on pense avoir tout vu, on ne s’attend plus à grand-chose, on ne s’attend à rien jusqu’à ce qu’on tombe sur les grandes artères illuminées d’Odienné et là, on se ressaisit.
Odienné in
L’on se croirait dans les rues de la ville du président Felix Houphouët Boigny. Le spectacle qu’offrent, les soirs, les lampadaires biphasés aux reflets orangés sur ces larges voix Odiennékas est le même que celui qu’offre Yamoussoukro. Le suspense est entretenu depuis le quartier d’entrée Onchocercose jusqu’à Hermankono, la sortie par ce tronçon habillé de part et d’autre d’enseignes, d’officines, de banques, d’hôtels, de supermarchés et autres infrastructures modernes qui rappellent la grande ville. « C’est à la faveur de la visite du chef de l’Etat en 2014 dans la région que nous avons bénéficié du bitumage des grandes artères. Le développement s’en est suivi » déclare un fils de la ville. Il règne dans les rues un calme comme on entend rarement les soirs dans la capitale politique. Seuls les va-et-vient des gros moteurs sur cette route internationale Odiénné-mali-Guinée se font entendre. Odienné, nous dit-on est également une ville à 98% musulmane et les nombreux maquis à bruyantes activités nocturnes ne sont pas monnaie courante ici.
Les matins déchantent un peu. Une fois les feux éteints, la ville perd de sa superbe et laisse voir ses traits. Les maisons du quartier administratif ainsi que les artères encore pavoisées aux récentes couleurs des municipales ont leurs affiches malmenées par le vent gorgé de sable. Novembre annonce l’harmattan et la ville vire à l’ocre plongeant les rues adressées et desservies en feu tricolores dans une certaine disgrâce accentuée par une pléiade de motocycles imprudents. Ce sont eux les taximètres ici. Ils conduisent très vite sans casques, le tour de la ville est fait, « Odienné n’est pas grand » lance-t-il aux touristes ballotés de cet Odienné in vers les secteurs anciens, là où rode encore l’âme de la vieille ville.
Odienné of
les rues donnant accès aux quartiers non résidentiels tels que Libreville aboutissent sur des maisons aux murs, portes et fenêtres fissurés par endroit et vieillis par le rouge latérite du sol qui confère à la commune cet aspect rural. Dans l’espace loti dès 1911 par l’administration, les villageois ont construit des habitations de type traditionnel qu’ils ont conservé jusqu’à l’époque actuelle. Le ballet de troupeaux de moutons est plus accentué. Celui des vélos et motos également. Sous les fromagers et manguiers aux tailles démesurées foisonnent « les grains et sous-manguiers », ces agoras où jeunes et anciens se retrouvent pour échanger sur divers sujets autour de l’immanquable tasse de thé. Non loin des femmes vêtues de longues robes enturbannées s’activent pour le repas du soir au feu de bois. Le stock de bois combustible est transformé en gradins pour leur bambins empoussiérés et enjoués. C’est dans ce décor rustique que vivent les descendants des 4 familles fondatrices d’Odienné alliées ayant participé à la conquête du royaume d’Odienné au côté de Vakaba Touré, son fondateur.
Histoire
C’était à la fin du 18ème siècle « La région se trouvait sur le trajet d’une des routes de commerce créées par les Mandingues du Soudan pour relier le Ouassoulou (sud-ouest du Mali) au Ouarodougou c’est-à-dire la région de Boron à proximité du Bandama et de la forêt, qui était la pointe extrême des migrations malinké du nord-ouest. Le pays d’Odienné, peuplé de Sénoufo, était un obstacle à la descente des malinkés vers le sud et à l’établissement d’une route de commerce dont les échanges portaient essentiellement sur la kola de la zone forestière et le sel venu du nord ».
Les Kamate, Komara, Diarassouba et Cisse, les 4 grandes familles de commerçants et musulmans convaincus selon la tradition orale négocient d’abord une cohabitation avec le très hospitalier et animiste peuple Sénoufo. Les nouveaux venus islamisés n’apprécient guère le choix religieux de leur bienfaiteur. Très vite, les relations se détériorent : les premiers arrivés, Kamate et Komara se heurtèrent à une forte résistance des autochtones Sénoufo. Menacés, ils firent appel pour leur prêter main forte à Ngolo Diarra, empereur de Ségou puis à Vakaba Touré, meilleur madrassa et redoutable guerrier de Samatiguila, village très islamisé située à 40 km de la ville.
Les Sénoufos sont évincés du territoire non sans riposte. Vakaba TOURE, crée alors autour son nouveau royaume une fortification pour faire face aux téméraires et bien plus tard avec son descendant Moktar et Samory Touré à la colonisation. Ainsi sont dressés aux alentours d’Odienné des villages de guetteurs comme Tiémé avec ses guerriers Sofa (maitre du cheval) et Gbéléban. A Odienné en cette période, il n’y avait que l’islam et le travail de la terre, Vakaba organise son royaume et distribue les tâches aux familles en fonction de leur savoir-faire, celles-ci deviennent des castes. Ainsi l’activité des imans revenait in facto à la famille Savané de Samatiguila. Son iman s’y trouvait, après son accession au trône, le roi n’a pas voulu changé d’équipe. « Les Savané gèrent donc depuis des lustres de génération en génération les prières de la grande mosquée d’Odienné, « quand viendra mon tour, j’irai accomplir ma mission » affirme avec conviction El Hadj Savané Ahmed, sexagénaire, ancien journaliste.
Les Doumbia
L’activité de la forge est attribuée aux familles Doumbia, Bamba, Koné…Ces dernières ont pour rôle essentiel de fabriquer des outils pour l’agriculture (daba, machette…) mais également fournir des armes pour aller en guerre. « Ici seules nos épouses sont habilitées à devenir potières. » relève Doumbia derrière son étau, l’homme finalise la commande de couteau pour décortiquer l’anacarde. A la question de savoir la pérennisation de l’activité devant la modernité, Aboubakar reste ferme : « ici, c’est notre champ, nous y sommes matins et soirs. Même si aujourd’hui, nos enfants sont scolarisés, nous leur apprenons néanmoins les rudiments du métier »
Les Kamaté
Plus loin au nord le quartier Kamatéla. Autre décor sur même fond pour une autre famille. La famille Kamaté , agriculteurs depuis la nuit des temps base sa réputation sur la production du manioc jusqu’à la dernière crise militaro politique de 2000 qui voit une partie sa progéniture transformée en fabricante et commerçante de l’Attiéké. Le quartier pullule de groupe de femmes en pleine activité de fabrication de l’Attiéké et puent l’acide de manioc. Certaines épluchent, lavent quand d’autres autour de grand feu de bois supervisent la cuisson du produit. Pour Kamaté Makourani, présidente d’une ONG évoluant dans le secteur tout est parti du départ des allogènes Ebrié d’Odienné, pendant la crise de 2000. Les femmes du quartier héritent tout de suite de la fabrication de l’attiéké. Elles avaient acquis l’expertise auprès des femmes ébrié dont elles étaient les assistantes depuis plusieurs années. Aujourd’hui Makourani et plusieurs autres femmes du quartier constituent les fournisseurs de l’attiéké made in Odienné dans les pays de l’interland, à savoir le Mali et la Guinée. Elles disent faire face aux charges de la famille et comptent perpétuer la tradition qui consiste à produire et nourrir le royaume.
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