Ich bin ein Berliner

Plus de 8000 kilomètres parcourus en 10 heures de vol depuis Abidjan pour répondre à l’invitation de la fondation Friedrich Naumann pour la liberté en Allemagne. Un workshop sur l’art du reportage se tient  à Berlin du 21 au 28 avril. L’occasion rêvée  pour raconter un vol baptême, découvrir  la ville  et la conter en marge des travaux.

Première Gaou dans l’avion

Samedi 21 avril, 00H. Mon voisin ronflait, bouche ouverte.  Pourtant, l’avion bec vers le ciel, propulseurs mis en marche, filait maintenant à vitesse déconcertante (900km/ H) vers l’infini. Tout comme ma voisine, une belle jeune dame métisse, mains jointes, yeux fermés comme pour fuir le spectacle terrifiant, je psalmodie d’interminables litanies. Vitesse de croisière atteinte, extinction des lumières, le manuel de survie et d’utilisation des accessoires de l’engin prend le relais. Hormis notre bruyant dormeur, l’avion est silencieux. Au programme des écrans individuels qui servent de télévisions, Black Panther ? Non. Je reste ferme sur ma décision de ne pas suivre cette fiction dans laquelle Lupita Nyong’o, Viola Devis et autres acteurs  frères  sont en guerre pour je ne sais trop quelle raison. De plus, aucun de ces héros de papier ne pourra me secourir en cas de chute. Les catalogues turcs rangés en dessous du téléviseur ne me disent rien qui vaille. Le ballet de nuages dehors non plus. Mon livre du moment en main, impossible de l’ouvrir. Entre mes voisins, je me sens à l’étroit comme prise en sandwich perchée à 12 000 pieds  pour une destination devenue soudainement trop lointaine. Je me téléporte ailleurs, plongée dans mes  souvenirs à revivre mes scènes de défaite.  Revoir mes répliques en ma faveur me donnait des ailes dans ces airs. Bientôt, une  agréable odeur de gratin de pomme ou presque provenant de la cabine des hôtesses venait réveiller notre odorat.  Il y avait comme une saveur aux épices magrébines. Plus tard nous apprenons de notre jolie steward qu’il s’agit en fait de : Adana köfte, karnıyarık, mantı et yaprak sarma, des arômes particuliers de la cuisine turque.

Beef or chicken ? demande la jeune dame.

Beef, répondit avec conviction ma voisine. Elle semblait s’y connaitre.  Le même plat pour mon voisin revenu à lui, et naturellement pour moi. Je refusais de tenter l’inconnu, noyant ma peur à cet instant de diner sur  la méditerranée dans  les petites bouteilles  de vin  ANCYRA. J’en ai descendu au total  6 !

7 heures plus tard, nous étions en Turquie, 2 autres heures après, à Berlin.

14h, la capitale allemande est calme. C’est dimanche, Les rues bitumées qui rallient l’aéroport international Tegel à Ellington notre hôtel sont presque désertes. De part et d’autre des artères propres longent des maisons raffinées et d’imposants immeubles style aristocrato-modernes.  Elles ont des fenêtres hautes, des balcons fleuris et de l’allure. C’est un beau mélange de vieux dans de l’ultramoderne.

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Berlin à vélo

15 degrés, il fait beau pour ces hibernés. Pratiquement tous sont à la campagne, nous révèle notre chauffeur de car. L’exception privilégie, en couple, en famille ou par grappe la marche à pied. Pour le reste, c’est le vélo. A Berlin, il y a le métro, les véhicules et les 2 roues. Il y a une « Rent a Bike », station à vélo  à chaque rez-de-chaussée. Ici, pédaler utile, vivre mieux prend tout son sens. Le ratio est de 1 vélo par personne. « Respectivement 18 et 10% des déplacements sont réalisés à vélo. »

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Une légende urbaine raconte qu’avec la réunification de l’Allemagne de l’est et de l’ouest, des travaux de réhabilitation causaient d’énormes désagréments aux automobilistes. Les embouteillages ont fini par rendre nerveux les Berlinois. L’alternative qui s’offrait à eux : le vélo. Depuis les 15 dernières années, le vélo fait partie intégrante des moyens de transport de la seconde puissance économique du monde. C’est un style de vie. Pour se rendre au boulot, effectuer les courses ou connaître la ville, le vélo est partout. Toutes catégories sociales professionnelles confondues s’y frottent et semblent pomper la vie à pleins poumons. « Vous avez plus de chance de vous faire voler votre vélo que votre voiture. Vous vous faites voler votre engin à 2 roues en moyenne 3 fois l’année», confie Andréa Nusche, journaliste et formatrice au workshop.

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 Sur les trottoirs, des véhicules stationnés en file indienne patientent. Ils semblent y avoir passé du temps. On aurait dit  qu’ils sont à l’abandon. Les moteurs des berlines se sont tus le temps d’un week-end et les klaxons depuis pas mal de temps. Ici, klaxonner dérange. Les allemands l’ont compris et intégré à telle enseigne que conduire en mode quasi silencieux est devenu la règle. Tout est légué aux 2 roues les jours de repos, plongeant Charlotten Burg, cette rue et agglomération allemande dans un silence abyssal. Impressionnant!

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Ce capital tranquillité est également monnayé par  les  hommes d’affaires turcs. L’histoire raconte qu’un accord signé en octobre 1961 lie les 2 peuples. Son principe : « inciter les travailleurs turcs à venir travailler en République Fédérale d’Allemagne ». Cinquante ans plus tard, les Turcs constituent la première communauté étrangère du pays, avec officiellement 1,63 million de ressortissants. Au total, environ 3 millions d’habitants en Allemagne ont des racines turques. De plus, l’Allemagne est le premier exportateur en Turquie (pour 14,5 milliards d’euros). Quelques deux mille sept cents entreprises allemandes — dont des poids lourds tels que BASF, Mercedes ou MAN — sont implantées en Turquie. Ainsi, un tiers des bus Mercedes circulant outre-Rhin ont été construits à Istanbul. Réciproquement, l’Allemagne constitue le premier importateur de produits turcs (pour 9,1 milliards d’euros en 2006). Ce partenaire logé à 2 heures de vol est également pour le Berlinois ce que représentent les Libanais pour la Côte d’Ivoire : des restaurateurs incontournables. Leur credo : les terrasses-cafés à la parisienne. Ici la vue imprenable est payante et fort appréciée autour d’une belle blonde (bière) de quoi vous faire dire tout comme le président  John Fitzgerald Kennedy dans son  discours prononcé sur la place de l’hôtel de ville à Berlin le 26 juin 1963 :

« Je suis fier d’être venu dans votre ville (…)  Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont citoyens de cette ville de Berlin-Ouest, et pour cette raison, en ma qualité d’homme libre, je dis « Ich bin ein Berliner.»

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About the Author: Ritadro

14 Comments to “Ich bin ein Berliner”

  1. C’est tellement bien écrit que je me suis retrouvée à Berlin avec toi. Jadoreeeeeee, le prochain pays les USA.

  2. 6 bouteilles hein. Avec ça, pas facile de retenir les noms de ces épices turques.
    Bravo !

  3. superbe article, très bien écrit , passionnant .
    et merci pour ces belles photos

  4. J’ai lu et j’ai aimé !
    C’est beau ! Comme tu écris bien..

  5. Apoutchou j’adore ta façon d’écrire. On se croirait à Berlin. En tout cas chapeau à toi.

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