Boisson interdite en Côte d’Ivoire(1964) puis autorisée ( 1999) , le « koutoukou », l’eau -de-vie artisanale s’est incrustée et a trouvé de jeunes et nombreux adeptes à Akouédo village. Théâtre d’une foire aux bistrots, ce village Ebrié en abrite plus de cinq cents selon les villageois.
En face, une jeunesse, sans emploi pour la plus part ,des clients constants et permanents. Fort dosage, coût accessible et parait-il vertu thérapeutique caractérisent cette liqueur nationale. Le « Gbêlè », autre nom du koutoukou est-il le nouveau vice de ces jeunes ? Suivent-ils un effet de mode, ou se réfugient-ils tout simplement pour ne pas penser au chômage ? Le samedi 7 mars 2015 nous allons à la rencontre de ces buveurs spéciaux.
le décor
Assis sur un banc, tête baissée, les doigts sur son mini verre de tequila au contenu incolore, Aliou l’air pensif semble prendre son souffle pour ingurgiter d’un trait le liquide. Les grimaces lues sur le visage de cet habitué assorties au cri lancé après cet exercice en disent long sur le degré, la composition et les dégâts causés au passage de cette mixture. Pas besoin d’être médecin pour le savoir !Mais, le « manawa », aide-maçon de seconde main, ne part pas. Il reste, boit encore et encore des heures durant.
Ce scénario, ils sont nombreux à le reproduire ce jour. Une trentaine qui part et revient. Le flux est impressionnant. Tous des jeunes pleins de vie, installés les uns à côté des autres sous ce hangar constitué essentiellement de bois. Elle est bien loin l’époque où on retrouvait les personnes âgées paumées dans ces coins à alcool local, ces jeunes semblent avoir détrôné les anciens. A l’intérieur de ce lieu de fortune sont disposées en vrac des tables, bancs, quelques étagères sur lesquelles repose la marchandise. L’arc en ciel de « koutoukou », est exposé et prêt à être servi.
Il est 10 heures et les bouteilles anciennement pleines sont presque vides. Les buveurs du cap nord, nom des lieux, sont matinaux. Certains sont sur pieds depuis 4 heures du matin. L’ambiance en ce lieu est conviviale. Animé à chaud par les plus éméchés. Des thèmes aux couleurs de leurs frasques et exploits de chômeurs à l’ordre du jour sont débattus à haute et intelligible voix. Dehors,le soleil luit fortement.
LA CARTE
« Rouge amer, jaune amer, cohoco , 4heures du matin, petit colas, racine de petits colas , gnamankou, Kassapréko ,sachets CCDEO , Café Rome, odindin rouge et blanc… les différents noms du produit. Des nomenclatures pas fortuites. Ces produits auraient selon vendeurs et consommateurs des vertus thérapeutiques pour un même effet : l’ébriété, de véritables 2 en 1 donc.
« Jaune- amer soigne le palu. Rouge- amer est efficace contre l’hémorroïde. Gnamankou guérit les problèmes de gorge et la toux. Le poivre quant à lui facilite la digestion et combat la constipation. 4 heures du matin et petit colas sont eux les aphrodisiaques stars ici ». Présente avec assurance Maman Victo, propriétaire du cap nord.
BUSINESS FRUCTUEUX
Son bistrot vieux de 5 ans ne désemplit pas. 7 jours sur 7, 20 heures par jour. « Cette activité rapporte, ce lundi j’ai débuté la semaine avec 180 litres de « koutoukou » et déjà au troisième jour, mes bidons tarissent déjà » ajoute la commerçante le sourire au coin de l’œil. Vendue à 50 et 100 fcfa la tournée, le breuvage rapporte 30 000 fcfa en moyenne par jour.
Aimée, autre vendeuse située à quelques mètres de là, présente un chiffre d’affaires nettement en dessous de celui de « victo » mais ne s’en plaint pas. « Depuis 3 ans, j’ai 12000 fcfa par jour » assure-t-elle. Pour le dosage et les effets secondaires sur la santé des clients,les vendeuses sont perplexes « nous n’avons aucune idée du dosage de la boisson. Nous nous ravitaillions chez nos fournisseurs, préparons nos cocktails en ajoutant au koutoukou nos écorces et arômes puis nous vendons, et c’est tout » soulignent les deux femmes.
En réalité, ces liqueurs africaines contiennent des doses supérieures à la normale. Cette liqueur artisanale contiendrait en moyenne 19,55 mg/l de méthanol, 47 mg/l de propanol et de nombreux alcools supérieurs jusque-là non identifiés. On retrouve parfois plus de 90% d’alcool dans ces boissons. « Le premier jus recueilli par distillation à la cuisson de cette boisson fait démarrer une moto » témoigne Ali, un fabriquant togolais.
LES BUVEURS
Si cette boisson au dosage élevé attire autant de jeunes sans emploi , c’est en partie à cause de son accessibilité , son prix à portée de leur bourse et de son efficacité , sa rapidité à les faire « décoller ». Ces jeunes sont des aides-maçons, menuisiers occasionnels, chômeurs et parfois chauffeurs de taxis, étudiants ou même policiers… « si le produit est bon avec 200 FCFA tu es bien (soul). Un luxe qu’on ne peut pas se permettre avec la bière. Elle est légère, diluée et trop chère pour nous » Souligne Côte d’ivoire, le pseudonyme d’un buveur fiché.
Ces mixtures joignent également l’utile à l’agréable selon les consommateurs « 4heures du matin réveille l’homme le moins impuissant du monde, ça réveille cadavre, quand je bois, mon épouse sait à quoi s’attendre. Je retrouve la fougue de mes 20 ans » renchérit Maxime, un autre buveur aux allures d’anorexique. Autre élément captivant pour eux la force. « Je suis un jeune fouilleur à la décharge d’Akouédo, j’ai besoin de ma dose pour affronter les odeurs de ce lieu nauséabond aussi d’assez de force et énergie pour fouiller. Chose que le « gbèlè » me procure parfaitement » déclare Alain. Le paradoxe est qu’ils n’ignorent pas les dangers, les effets pervers de cette boisson sur leur santé à long terme.
Les médecins parlent d’alcoolisme aigu, de troubles de la vigilance pouvant aller jusqu’au coma avec de forts risques de cirrhose de foie. À ces menaces, ces buveurs répondent presqu’à l’unisson « il faut bien mourir de quelques chose, nous savons bien cela. »Ils assurent prendre leurs précautions, « Il faut juste bien manger avant une bonne partie de « koutoukou » concluent t’ils sur un ton ironique.
très bon reportage.
Merci!