Pour mon chirurgien, en plus des cours chez le Kiné, il me fallait absolument adjoindre ceux de la piscine. Le milieu aquatique présentait de nombreux avantages pour mon cas. « Etre dans l’eau est idéal, car votre corps est quasi en apesanteur. L’allègement de ce dernier permet de diminuer la pression exercée sur l’os fracturé. Vous pourrez ainsi reprendre plus facilement appui sur vos membres, vous retrouverez petit à petit force et l’équilibre. Et vous remarcherez plus rapidement» déclarait Docteur Akué Koffi.
Le coup de massue! Pour la trouillarde et frileuse que je suis, à qui le simple bruit des vagues foutait une peur bleue, les cours de natation annoncés par le toubib sonnaient le glas. J’avais des sueurs froides rien qu’en y pensant. Dans ma tête, faufilait l’image de Jack et Rose, dans Titanic, perchés sur une planche de fortune au beau milieu de l’océan glacial. L’eau était l’une de mes plus grandes hantises. Pour ma guérison, il n’y avait rien à faire, je devais y faire face.
Au Groupement des Sapeurs Pompiers Militaires d’Adjamé, Je reconnais leur véhicule de secours et leur tenue, c’était les mêmes que ceux du jour du drame (mon accident, ndlr). Les mêmes que ceux qui m’extirpaient des décombres. Alors un sentiment de sécurité m’enveloppa. Pour arriver à la piscine, je descendais plus sereinement une série d’escaliers avec mes béquilles et passais le terrain de basket puis de football sur lequel des individus pratiquaient leur footing matinal. Je boitais une bonne dizaine de minutes avant d’accéder à cet endroit bleu déjà bruyant et plein à 8 heures du matin. C’est une piscine publique, Les différents bassins sont occupés par les élèves marins, quelques personnes en surpoids, des futures hôtesses de l’air et des particuliers comme moi. Il fallait se presser avec l’arrivée de la vague des vacanciers plus tôt brouillons qui risquaient de me bousculer.
Les mois d’Août, septembre de cette année furent particulièrement froids. Des fines pluies aux grandes averses en passant par des presqu’orages, toute cette majeure partie du temps, je la passais dans le grand bassin à ciel ouvert livrée aux mains du dénommé « Ninja », célèbre maître-nageur de ce lieu. Le menu monsieur, un quinquagénaire au teint coing blet, vif et efficace était toujours habillé de combinaison de plongée, sa seconde peau. Il en avait de toutes les couleurs, de toutes longueurs, plaquées elles laissaient entrevoir ses petits muscles travaillés. L’homme tel un soldat … de l’eau ne se laissait pas amadouer par mes craintes et pleurs de débutante. Il ne badinait pas : « tu es ici pour que tu réapprennes à marcher sans béquilles et pas pour les enfantillages », martelait Ninja. J’opinais du chef en me laissant marquer à la taille par un flotteur. Ses mots durs fouettaient mon orgueil et m’enflaient de courage. Vite rattrapée par ma détermination, J’étais habitée par cette envie de le remettre à sa place par mon travail.
Pour mes premiers cours, j’ai dû avaler également beaucoup d’eau chlorée, affronter le regard des inconnus sur mon corps moulé dans un maillot de bain une pièce et oublier un temps soit peu mes béquilles. Pour me libérer d’elles j’ai eu droit à 3 semaines d’exercice « de vélo » sous l’eau. Mimer les mouvements du vélo pour muscler et tonifier le muscle dans un premier temps. Ensuite une fois la confiance établie, les exercices se sont intensifiés. Nous sommes passé du B-A BA à de vrais cours de natation en mois de 45 jours. Mes premiers cours n’excédaient pas 30 mn et les derniers allaient à une heure et bien plus. Et le bien fou qu’ils me procuraient après ! Je m’endormais après chaque séance comme un loir. Je me découvrais là une autre passion : la natation. A peine le mois terminé, je n’avais plus qu’une puis plus de béquille. Je remarchais librement. Toute cette évolution se déroulait sous le regard des pompiers qui me montraient du doigt avec fierté aux nouveaux fracturés qui franchissaient tout crispés pour la première fois leur fameuse barrière.