Les vendeuses de feuilles comestibles du marché Gouro d’Adjamé à Abidjan, greffent un SAV (service après vente) à leur métier pour accroître leur clientèle et assurer la pérennité de leur petit boulot. Et ça marche !
A l’origine, elles étaient uniquement des Wéssébrouférélas, vendeuses de feuilles de patate douce en malinké. Puis, il y a eu d’autres variétés de feuilles. Mais la dénomination n’a pas changé et la demande est restée constante. L’une des raisons : le manque de temps des clientes pour la découpe des feuilles après achat. Cette « corvée » est dorénavant dévolue à ces vendeuses. Aujourd’hui la spécialisation d’ « éminceuses », ajoutée à leurs CV de commerçantes, leur assure un peu plus d’argent au quotidien. La vie aux bouts des lames, à la découverte d’une dérivée de ce petit commerce.
Accédez au marché Gouro par l’entrée BHCI, vous aurez l’impression d’entrer dans une serre. L’endroit est verdoyant, frais et riche en laitue. Une ruelle leur est entièrement dédiée. Tel un labyrinthe, elle happe la clientèle pour la conduire jusqu’au nez des « éminceuses » de feuilles d’épinard, manioc, patate, gombo, aubergine, oignon… on y trouve des concombres, courgettes poivrons, salade, melon, haricot…
Ce jour là, Batogoma et ses collègues, couteaux de chef dans une main, pansements de fortune, en guise de protection, et botte de feuilles dans l’autre main, s’empressent de réduire la montagne de verdure en lamelle catégorie après catégorie. « Il ne faut pas mélanger les feuilles. Daha à part, AnangoBrou, gôyôBrou, BronBrou à part. Nous les découpons séparément et quand arrivent les clientes en moins d’une minute elles sont servies et repartent», déclare la menue jeune fille presque perdue derrière sa bassine de feuille de patate, la référence ici.
« Une fois arrivée à la maison, je les lave juste et je commence immédiatement la cuisine, je suis à l’heure et ma famille mange à temps. Chose qui m’était impossible avant. Car, il fallait que je les découpe moi-même et ça me prenait trop de temps », confesse une cliente venue s’approvisionner en feuilles légumes découpées.
Pour respecter cette variante importante qu’est le temps, Batogoma et sa bande, venues des quartiers défavorisés de la ville sont debout depuis 4h du matin. Elles se rendent toutes un peu plus bas, à quelque pâté de maisons de l’entrée principale du marché. Là bas, l’approvisionnement leur est livré à crédit par des maraichers qui déversent par tonnes ces feuilles cultivées dans les jardins et bas-fonds environnant Abidjan, chaque 2 jours. Depuis le temps de sa mère, une wéssébrouféréla, l’habitude est née, la confiance aussi.
« On se connaît maintenant, le monsieur nous livre les feuilles à crédit et au prochain approvisionnement, nous lui remettons son argent », avoue l’adolescente, le sourire au coin. La petite « héritière » a succédé au couteau de sa mère, il y a 7 ans de cela. Batogoman en a 17 ans aujourd’hui. 10 ans plus tôt, l’ élève du CE1 de l’Ecole primaire du quartier Viet de Samaké d’Abobo, tout comme ses 6 autres frères et sœurs, est retirée des bancs pour se lancer sur le marché de la débrouille. Avec son père à qui les contrats champêtres se raréfient, ses 3 frères apprentis mécaniciens, son ainée donnée en mariage et sa cadette au chevet de la mère, Batogoma n’a pas d’autre choix que d’occuper son métier de prédilection.
« ça ne marche plus, je gagne 3000 fcfa, je paye ticket de mairie 1000 fcfa par jour et les feuilles sont difficiles à conserver ,je n’arrive pas à épargner. Tout ce que je gagne, c’est pour les médicaments de N’nan (sa mère) » se lamente Batogoma qui, pour écouler le stock du jour, a recours à d’autres petites mains payantes transformées en vendeuses ambulantes pour l’occasion.
Le ménage dans ce lieu vite transformé en pré verdoyant est assuré par des jeunes éleveurs comme Adama et Brahaman. Venus de Williamsville, quartier voisin d’Adjamé, ils sont sur les lieux tous les jours pour récupérer les restes des feuilles légumes destinés à nourrir les bœufs et moutons du pâturage de leur père.
Un service de nettoyage gratuit qui vient réduire un temps soit peu la lourde charge de Batogoma et compagnie.