Au panthéon des sinistrés de Béoué, village situé à 43 km de Guiglo, Oulonéo Philippe et Mahoulou Mathilde occupent de bien tristes places de choix. 5 ans que les deux fils de Philippe furent égorgés sous ses yeux et comble de l’horreur, le sang sur la machette fut essuyé sur le pagne de la mère. Sous son même regard impuissant, sa fille fut également déshonorée . 2 fils abattus à l’arme à feu pour Mathilde. Deux endeuillés que la Commission Dialogue Vérité Réconciliation a omis de recevoir mais qui en appellent néanmoins au pardon pour la paix et la cohésion dans leur région.
La guerre dans leur village, ce paysan et cette vendeuse à l’étale Wê la connaissent. Aux premières heures des tueries, les habitants de cette localité, en fuite dans la forêt ont assisté impuissants aux exactions sur leurs progénitures. Un traumatisme dont les traces perdurent aujourd’hui et que ni le temps encore moins, la CDVR n’ont pu apaiser mais dont le cœur à l’unissons parlent de pardon.
Le jour se lève sur Béoué en ce 17 avril 2016 . les villageois matinaux vaquent à leurs occupations. Les commerçants occupent leur boutique. Des jeunes oisifs errent dans le village quand La séance de procès dominicale se prépare activement. Sous le hangar du village, notables, chef de village et autres curieux se préparent pour trouver solutions à ces indénombrables problèmes de foncier. Tout va bien à Béoué, et sans les maisons brûlées en ruine, on eut dit qu’il s’est rien passé dans ce village.
Philippe, lui, n’a pas le temps d’y prendre part. L’homme petit et frêle est occupé à tisser ses feuilles de palmiers destinés à la confection des toitures de cases au village. Cette activité est devenue la seule activité génératrice de revenus pour ce père de 6 autres enfants. Ces derniers et son épouse dépressive à la suite de la tuerie l’aide dans sa tâche. Après le drame qui a eu lieu dans une forêt voisine, retourner seul pour cet adulte sur ces parcelles de terre situées à quelque kilomètre du village rime avec psychose. « Avec ce que j’ai vécu, s’il n’y a personne pour m’accompagner au champ, il n’est pas question que j’y aille seul, je suis encore traumatisé » révèle ce cultivateur de riz à la nouvelle fonction. L’homme garde encore un mauvais souvenir de son aventure en brousse et craint que la scène ne se répète. Il préfère se contenter des maigres revenus de la vente de « papo ».
A peine l’entretien entamé que l’homme demande à un de ses fils de lui faire parvenir le lot de dossier sur ces défunts enfants qu’il conserve précieusement. Tour à tour, les certificats de décès de ses mômes respectivement en classe de 6ième et 3ième à l’époque sont présentés avec beaucoup d’émotion. Le carnet de santé où est indiqué le viol de sa fille aussi. Ressortir ces archives n’est pas chose évidente et raconter le récit de ce jour sombre l’est encore moins. Les inévitables larmes sont versées.
Parmi la sombre paperasse traîne un bordereau de la CDVR. Philippe et sa famille n’ont reçu de ce mécanisme dont le rôle consistait à résorber ces traumatismes précités à travers ses différentes commissions spécialisées, un reçu signé qui fait état de chèque jamais encaissé. Les informations prises au trésor du chef-lieu de département Guiglo attestent les dires de l’homme. Pourtant les missions assignées à cette commission consistaient à comprendre les causes profondes de la crise, la typologie des crimes commis et l’évaluation des réparations à apporter.
Philippe et sa famille vivent dans une case, faite de terre, recouverte de sa marchandise.
Quant à dame Mathilde, elle a opté pour l’ignorance de cette structure car selon elle être en vie après cette épreuve «horrible » reste une grâce. Aucune somme d’argent ne pourra lui ramener ses enfants. Elle dit avoir tourné la page, se consacre à ses semoules de manioc qu’elle vend et attend tranquillement son tour pour rejoindre son créateur.
Pour ces personnes, c’est certain, l’argent ne peut tout faire. La douleur de cette perte, il ne la souhaite à personne raison pour laquelle Philippe et Mathilde avaient accepté en son temps de parcourir les villages et campement de la région. Objectif : sensibiliser au pardon en se servant de leurs exemples afin de pouvoir revivre dans la paix.