Chez le Kiné

IMG_20170620_112555_143Les déformés, il  y en avait  de tout type, toute forme et tout genre sur le banc des patients du  service neurologique du CHU de Cocody. Des seniors aux nouveaux nés en passant par la case jeunesse. Des accidentés comme moi, des (para-hémi) plégiques congénitaux ou pas, tous étaient là, moroses, à attendre leur tour de passage.

Ils avaient l’air d’avoir passé la nuit à guetter l’ouverture du centre. La file était longue comme un jour sans pain. Les malades venaient d’un peu partout d’Abidjan et voulaient tous passer en première position. Une séance chez le Kiné pouvait durer 30 à 40 mn. L’attente plusieurs heures et le coût moins de 2000 Fcfa (3 euros). C’est le social, l’état endosse une grande partie des 10 000 à 15 000 Fcfa la session dans les établissements privés depuis quelques années maintenant.

La salle de rééducation est grande, subtilement divisée en 3 différents compartiments aux allures et fonctions contradictoires. La première, « la hard » est équipée de 2 lits dégarnis reliés à des poulies et grilles, 2 chaises  rattachées à des poids, fauteuils quadriceps, ils l’appellent. Des cordes et chaînes, des marches aménagées, un vélo de salle en panne et un gigantesque slip également. Cet équipement assorti aux visages défraichis par la douleur des malades qu’assistait l’armée de blouse blanche encore étrangère donnait à cet endroit un air de Auschwitz. On aurait dit une salle de torture. C’était froid, bruyant et flippant la première fois.

Dans la salle de « sport », sont effectués tous les exercices  de  marche, d’abdos, flexions, extensions… afin d’améliorer l’équilibre pour les uns, soulager la douleur chez les autres. C’est la phase la plus longue. 15 à 20 minutes  de concentration orchestrée à la chaine par l’équipe d’infirmiers  composée de jeunes auxiliaires dynamiques et attentionnés.

Ici, on transpirait à grosses gouttes, en dépit des 16 degrés de température désormais mélangée à  cette farouche envie  commune d’en découdre avec le mal. Pour stimuler la consolidation de mes os, j’avais droit à un étirement sensé réduire la raideur sur l’une des chaises. Ensuite, des mouvements de gym avec les poulies pour  tonifier le muscle ; enfin des exercices de proprioceptive pour acquérir plus de confiance lors des activités de la vie quotidienne.

La seconde  salle, la « soft », est uniquement aménagée pour les massages. Plus calme, exigüe, elle est dotée de 4 lits encerclés individuellement de drap vert. Il fallait préserver l’intimité pour cet exercice où  le vêtement n’avait pas sa place. Ce lieu de repos évoquait  la récompense après l’énergie fournie dont j’étais et la captive et la plus heureuse. Là, mon Kiné, un homme petit de taille  aux bras musclés d’une efficacité rare manipulait délicatement mon fémur recousu  jusqu’à l’assouplir et le soulager de toutes ses douleurs, c’était exquis ! Docteur Aka, il s’appelle  avait le pouvoir de me faire oublier  la lourde odeur d’éther, les interminables heures d’attentes ainsi que les hurlements des bébés et d’adultes  apeurés par les exercices infligés à la salle 1. Le médecin tenait en haleine sa clientèle avec l’humour. Il faisait bien, ça le faisait pas sans blague dans cet espace où se mêlent douleur, sueur et larmes. Rire  faisait tout  oublier…enfin presque L’homme  dirigeait tout. Depuis le chevet d’un patient, il supervisait le travail de ses stagiaires, donnait des instructions et intervenait si besoin se faisait sentir. Il encourageait les patients déterminés et se marrait, c’était fun.

La dernière salle, « la Relaxe » est réservée à la paperasse. Là bas était réceptionné et cacheté le petit carnet rose réservé aux rendez-vous à venir. C’était l’administration du lieu de « torture ».

Pendant mon bref passage dans ce service rééducation fonctionnelle, le Chu de Cocody disposait de 2  kinésithérapeutes  dont un en congé pour des milliers de blessés en provenance de toute la Côte d’Ivoire. La branche est nouvelle, paraît-il. Dans un passé récent, tout le pays n’avait en tout et pour tout que 80 kinés, selon mon médecin. Ce n’est qu’en 2008 que le gouvernement ivoirien a instauré l’enseignement de la Maso-kinésithérapie à l’Institut National de Formation des agents de Santé (INFAS). Obtenir un rendez-vous dans ce lieu de réadaptation physique demandait de la patience … beaucoup  de patience  et de relations aussi. Plus vous connaissez un membre de l’hôpital, plus  vite le rendez-vous était pris. Sinon, c’était soit s’orienter vers un établissement privé, soit l’option longue attente pour les « sans-relations».

Pour retrouver mon schéma de marche perturbé par plusieurs mois d’inactivité, ma prescription était de 10 séances suivies de cours de natation.

 
 

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