De loubards à « debout-payés »: des muscles et du parcours!

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Après une adolescence d’enfant de la rue des plus  tumultueuses, des anciens  loubards d’Abidjan se sont reconvertis en agents de sécurité. La famille, l’envie  d’être des exemples pour la jeunesse, le mauvais regard de la société, l’âge de la sagesse… autant de facteurs qui ont pesé dans la balance du changement.  Leurs muscles, objet de terreur hier sont devenus la base  d’une reconversion aujourd’hui. Leur nouveau rôle de « debout- payés », hommes de sécurité selon l’écrivain ivoirien Armand Gauz, ces hommes l’exercent avec dextérité et l’œil d’ancien filou dans un Adjamé (commune commerçante de la capitale économique ivoirienne) qui ne désemplit pas de nouveaux petits futés. Rencontre, avec ces nouveaux gros bras de la loi.

A Adjamé mosquée, entre la gare nord et la station shell, rares sont les voleurs et agresseurs qui osent s’aventurer dans cette zone. La raison : le périmètre est quadrillé et hautement sécurisé par un impressionnant Commandant hors grade et ses hommes. Leur particularité, leur plastique musclée, on aurait dit des haltérophiles de haut niveau. Ces civils sont vêtus de jogging et de débardeur démembré  qui laissent entrevoir leurs gros biceps. Si vous êtes dans les parages, impossible de les rater. Leur poste : la devanture des magasins  de vente de meubles.

Localisation

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Dressés tels des fromagers sur l’estrade d’un grand espace,  Pipao et Adamo, deux balaises aux pseudonymes tout aussi effrayants que leur physique, scrutent l’horizon  des kilomètres la ronde.  Ils  font, parfois, face  à des larcins toujours un peu plus malins, souvent armés et répartis sur un espace géographique immense qui brasse des milliers d’individus à la minute. Ces ex Ziguéhis( gros bras ) savent qu’ils doivent s’adapter  aux  techniques toujours plus ingénieuses des pickpockets. Et s’ils sont autant sur leur garde c’est surtout parce qu’ils ont sous leur responsabilité la sécurité des  biens (commerces) et de leurs employeurs directs : les familles  libanaises et marocaines installées depuis plusieurs années le long du boulevard Nandjui Abrogoua. Autre clientèle : la pléiade  de commerçantes anarchiques installées à  même le bitume sur le même tronçon.

Organisation

« Nous nous scindons en 2 groupes, un fait la nuit et l’autre le jour. En général nous avons affaire aux petits « débalousseurs »(voleurs à la sauvette en nouchi) qui opèrent à l‘arme blanche, petits trafiquants de drogue mais rarement à de gros calibres. Nous travaillons en étroite collaboration avec le commissariat du 3ième arrondissement. Lorsque nous les immobilisons, nous faisons appel aux forces de l’ordre pour les embarquer ». Depuis sa boutique où il dirige une équipe d’une dizaine de personnes ce jour, Commandant et ses hommes  affichent un air serein. Les bandits les plus téméraires opèrent selon eux sur un territoire qu’ils maîtrisent comme leur poche « Adjamé, était notre terrain de jeu, puis lieu d’opération et aujourd’hui de travail, les voleurs ne peuvent pas nous échapper, il suffit d’une brève description et du secteur où le vol a eu lieu et c’est fait… dans les délais les plus brefs,  nous vous retrouvons et le larcin et le filou, mieux les complices avec. » Rassure Commandant  qui frappe  d’un poing ferme sur la table. «  Nous travaillons à main nue, notre seule arme est notre force physique »  ajoute Badelo Saidou, le vrai nom de commandant.  Selon l’homme muscle, des braqueurs lourdement armés opèrent occasionnellement dans les zones voisines mais vu qu’ils ne sont pas armés ils ne peuvent pas grand chose. Leur collaboration  avec la police consiste essentiellement en un échange d’informations en amont ou en aval  par un interrogatoire « du personnel de la boutique vandalisée » déclare l’homme d’expérience. Commandant comptabilise 25 années d’ancienneté et maintient mordicus qu’en cas de braquage,  le personnel y est impliqué  dans 90% des cas ajoute t’il  sous le regard de ses deux éléments aux pseudonymes de guerre. C’est pour mieux intimider les potentiels aventuriers.  Tout aussi en muscle que leur boss, ces derniers disent d’ailleurs passés des heures par jour  en salle de musculation pour garder la forme. Sur ces muscles, c’est toute  une réputation et  un poste  basé sur cette partie du corps, il est dans leur intérêt de les entretenir.

Curriculum Vitae

« Du CP1, je me suis retrouver à la terminale de la rue » révèle Badelo Saidou. L’autodidacte est aujourd’hui à la sous-direction  d’une structure de sécurité, sa fabrique à « débout- payé», dénommée Jaguar. La jeune entreprise est encore  à l’étape de la paperasse. La sortie officielle en grande pompe est pour bientôt. Pour l’heure ils évoluent au noir. « Certains de mes éléments font les gardes du corps, ils assistent et assurent la sécurité des artistes lors de leur tournée. Pour la paie, c’est 150 000 pour les chefs et 70000 pour les nouveaux venus »

En ce qui concerne le recrutement, il faut être bien bâti, pas grave que  le casier judiciaire  soit entaché par contre   la discipline une fois au sein de l’équipe c’est un élément primordial. « la rue est comme à l’armée, elle est hiérarchisée, on ne badine pas avec le respect et la discipline »  ajoute ce patron  super éloquent. C’est dans la rue, cette jungle abidjanaise où règne la  violence et la loi du plus fort qu’il s’est forgé  une place, un nom, une vie.

Aujourd’hui marié et père de 4 enfants, c’est aussi dans la rue que l’homme souriant et disponible a rencontré l’amour. Après ses études au Burkina , frappé par le virus du gain facile,  c’est à l’âge de 17 ans que ce jeune rebelle  met fin à ses études en classe de 4ème et décide de passer les 25 années suivantes de sa vie dans la rue .

D’abord « djosseur des namas » (jeune aidant les véhicules à stationner), cokseur(apprenti gbaka), filou occasionnel entre deux postes vacants, ensuite propriétaire de Gbaka (véhicule de transport en commun), puis syndicaliste et aujourd’hui  sous-chef d’une agence dont  l’un des objectifs est de recadrer les jeunes de la rue.

Son parcours a été comme un déclencheur qui a fait comprendre qu’il fallait créer son entreprise. Au-delà de cette mission, commandant veut voir se poser sur eux, un autre regard de la société  « on vient de la rue mais nous ne sommes pas de mauvaises personnes, mon challenge est de faire comprendre aux jeunes frères de la rue qu’il y a de l’espoir».

 De cette  période plus tôt sombre, commandant a tiré une détermination à toute  épreuve. Une qualité précieuse au vu de l’immense tâche qui l’attend.

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About the Author: Ritadro

3 Comments to “De loubards à « debout-payés »: des muscles et du parcours!”

  1. @RitaDro, j’adore tes enquêtes qui apportent de la lumière dans les milieux sociologiques que chacun croit connaître mais dont la structure et le mode de fonctionnement échappent à tout le monde: minorités connues mais méconnues

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